Pour les insomniaques du raid, ceux qui ont la nuit légère, un dernier article avant la course.

Car oui nous sommes veille de course. La veillée des chevaliers, la nuit de prières. Celle où il ne faut pas dormir, celle où il faut prier avant l’adoubement. Cette veillée qui a donné son nom à la veille des grands combats. Quand les soldats aiguisaient et ré aiguisaient patiemment leur lame contre la pierre ponce, la lanière de cuir. Les flèches s’entassaient au pied des remparts et les pierres montaient les escaliers à dos de paysans.

Et voilà ce qu’est la veillée d’armes. Les femmes en prières toute la nuit, veillant pour le salut de l’âme de leurs maris. Les enfants effrayés qui allaient chercher de l’eau afin de prévenir les incendies, s’endormant en cauchemardant dans l’attente de l’invasion.

Ce soir nos chevaliers sont des raideurs. Ils vérifient le nord de leur boussole, font, défont et refont leur sac de bivouac. Le vélo est astiqué, vérifié et re-checké. Les chambres à air sont scotchées sous la selle ou serrées au serflex sur le cadre. Les portes cartes sont revissés, housse nettoyée. Le raidbook, graal ultime des raideurs, chevaliers des temps modernes, est lu, relu et ré analysé. On cherche à optimiser encore et encore, à deviner à pronostiquer.

On interroge le copain. « Tu en penses quoi ? On shunte ici ou pas ?

• Dors, répond l’autre. Demain est un autre jour.
• Et tu prends combien de flasques ?
• Deux ! Mais dors maintenant !
• Tu as pris ton gilet jaune pour la nuit ?
• …

Et c’est ainsi que nos couples de raideurs échangent, l’un assuré (ou inconscient), l’autre inquiet, angoissé. Mais chacun veut faire du mieux ; Du mieux pour anticiper, du mieux pour se reposer.

Les épées sont les vtt. Les flèches sont les baskets. Les pierres sont les flasques. Peu importe. Au plus fort de la bataille ne compte que le copain à côté. Le camarade, l’ami, le frère d’arme. Demain au plus fort du raid quand les esprits seront embrumés, les stratégies devant être revues car faussées par l’inéluctable impondérable, par l’implacable réalité du terrain, seule comptera l’âme sœur, la fraternité de la béquille humaine . Celle ou celui sur lequel vous compterez ce sera lui/elle. Votre binôme, la seule personne qui comptera. Pour le moment c’est celui qui ronfle à côté, dormant du sommeil du juste quand vous lisez ces lignes en espérant dormir. Maintenant vous le maudissez mais demain lui/elle seule comptera. Il vous sortira des griffes des ronces, elle vous relèvera des crampes en sortant du canoé. Ce fichu canoé qu’il faudra tirer encore des mètres et des mètres pour nos copains de Safaraid. Et oui. L’angoisse est là mais se trouve également à vos côtés la certitude d’une chose. Demain sera la plus belle journée de l’année. Enfin… Avant après-demain c’est sûr.